Assurance & méthanisation : le guide pour les professionnels

La méthanisation crée de la valeur, mais son assurabilité se gagne. Entre le cadre ICPE 2781 renforcé, les exigences ATEX, les attentes environnementales et un marché IARD plus sélectif, la “multirisque” standard ne suffit plus. Ce guide ABE Courtage s’adresse aux exploitants, développeurs et collectivités qui veulent avancer sans zone grise. On y met à plat les risques clés (incendie/explosion, pollution, bris de machines, pertes d’exploitation), les obligations liées aux constructions (DO, RCD, TRC/TRME) et la manière d’ajuster les garanties, étape par étape, de la construction à l’exploitation. À la clé : check-list opérationnelle, points contractuels à verrouiller et bonnes pratiques issues du terrain pour sécuriser votre unité… et obtenir des conditions vraiment assurables.
Ce que disent les contrôles et rapports récents
Depuis 2021, les prescriptions ICPE (rubrique 2781) ont été renforcées : distances, prévention incendie/explosion, rétention et maîtrise des effluents sont désormais au cœur des exigences réglementaires. Les arrêtés modificatifs du 17 juin 2021 précisent notamment l’implantation et la sécurité des équipements sensibles (par ex. règles d’éloignement des torchères vis-à-vis des digesteurs/gazomètres). Pour les assureurs, la conformité à ce cadre consolidé conditionne l’acceptation du risque. En 2023, l’Inspection des installations classées a mené une action nationale ciblant la limitation des fuites de méthane sur les sites de méthanisation. Les comptes-rendus montrent une vigilance particulière sur l’étanchéité des digesteurs et réseaux, avec, au besoin, des contrôles complémentaires (équipements sous pression, canalisations). Cette priorité a été rappelée dans les bilans 2024 et reprise par la Cour des comptes en 2025.
Les scénarios d’incident les plus fréquents
Le retour d’expérience (base ARIA) fait ressortir des pertes de confinement : fuites ou débordements de digestat lors d’opérations d’épandage ou à partir de cuves/bassins insuffisamment protégés, avec des coûts immédiats (pompage, nettoyage, analyses) et parfois des atteintes au milieu récepteur. Des déchirures de gazomètres et des défaillances d’équipements annexes (pompes, soupapes, capteurs) sont également documentées. Exemples sur l'Aria.fr
Impacts assurantiels typiques :
- Environnement : frais d’urgence (pompage, confinement, analyses) et, le cas échéant, coûts LRE (Responsabilité Environnementale) de réparation écologique.
- Biens & pertes : dégradations de membranes/gazomètres, moteurs/compresseurs et arrêts d’exploitation pendant remise en conformité. (Tendances cohérentes avec constats d’inspection.)
Les déclencheurs techniques récurrents
Au-delà des aléas d’exploitation (moussage, colmatage, surpressions), le risque d’inflammation d’origine électrostatique en zone ATEX est un point critique mis en avant par l’INERIS et le Club Biogaz : absence ou défaut de mises à la terre/liaisons équipotentielles, matériel inadapté au zonage, procédures incomplètes. Un dossier ATEX vivant (évaluation, zonage, DRPE, maintenance des détecteurs et ventilation) réduit significativement l’exposition incendie/explosion… et améliore l’assurabilité.
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Un projet de méthanisation se déroule en plusieurs phases (construction/mise en service, exploitation, adaptations/fin de vie). Chacune mobilise des couvertures d’assurance distinctes. Voici les principaux contrats et garanties pour sécuriser une unité (agricole, territoriale ou industrielle).
Phase 1 : Construction – Assurer le chantier de méthanisation dès le départ
La phase travaux implique des garanties ciblées, couvrant à la fois l’ouvrage (génie civil, locaux, rétention) et le process (digesteur, gazomètre, épurateur, compresseurs).
- Assurance Tous Risques Chantier (TRC) : La TRC couvre les dommages matériels pendant les travaux, avant la mise en service : incendie sur chantier, dégâts des eaux, erreur de manœuvre, vol de matériel, intempéries… Elle protège le maître d’ouvrage et les entreprises intervenantes. Sur les projets financés, elle est quasi systématiquement requise. En méthanisation, les assureurs regardent en particulier la rétention, la protection incendie, la torchère prévue (implantation/fonctionnement) et la tenue du plan de prévention.
- Tous Risques Montage–Essais (TRME) : La TRME vise les équipements industriels pendant le montage, les essais et la mise en service (digesteur et périphériques, gazomètre et membranes, unité d’épuration, compresseurs, moteurs de cogénération le cas échéant). Elle couvre la période sensible de montée en charge et de réglages.
- Responsabilité Civile maître d’ouvrage / RC chantier : Elle couvre les dommages causés à des tiers pendant le chantier (pollution accidentelle liée à des terrassements, projection d’objets, circulation d’engins). Selon les contrats, elle est proposée en option ou intégrée à la TRC.
- RC décennale / DO : La responsabilité civile décennale est obligatoire pour les constructeurs, et la dommages-ouvrage est, sauf exception, obligatoire pour le maître d’ouvrage. La DO préfinance les réparations des dommages graves à l’ouvrage (fondations, génie civil, clos-couvert). En méthanisation, cela ne couvre pas automatiquement le process (digesteur pris comme équipement, épurateur, moteurs), qui relève de la TRC/TRME à ce stade puis des garanties d’exploitation.
Note : Selon le régime ICPE et les prescriptions préfectorales, des exigences complémentaires peuvent s’appliquer (ATEX, distances d’implantation, rétention, procédures d’urgence). Elles influencent l’acceptation et les franchises.
Phase 2 : Exploitation – Protéger l’outil, la continuité et la responsabilité
Une fois l’unité en service, l’objectif est de préserver les équipements et la capacité de production, tout en couvrant les responsabilités envers les tiers et l’environnement.
- Multirisque industrielle (dommages aux biens) : Base « tous risques sauf » couvrant bâtiments, ouvrages et équipements. À vérifier : adéquation des sommes assurées, inclusion des membranes et des gazomètres, sous-limites sur les frais de déblais et la dépollution consécutive.
- Bris de machines : Garantie dédiée aux dommages accidentels des machines (moteurs de cogénération, compresseurs, unité d’épuration, instrumentation critique). Elle complète la police dommages aux biens et s’applique en fonctionnement, au repos ou lors de manœuvres selon le contrat.
- Pertes d’exploitation : Indemnise la perte de marge ou de produit consécutive à un dommage matériel garanti. La franchise temps et la durée d’indemnisation doivent correspondre aux délais réalistes de remise en état (remplacement de membranes, approvisionnement de pièces longues, remotorisation, opérations de nettoyage).
- Responsabilité civile Exploitant / Après-livraison : Couvre les dommages causés à des tiers (corporels, matériels, immatériels). La plupart des polices incluent une atteinte accidentelle à l’environnement, mais la pollution graduelle est souvent limitée ou exclue.
- Responsabilité environnementale (LRE) et RC atteinte à l’environnement : La responsabilité environnementale couvre les coûts de prévention et de réparation d’un dommage environnemental sur les eaux, les sols, les espèces et habitats, y compris en l’absence de tiers lésé. En pratique, elle passe par une police dédiée ou une extension spécifique, à distinguer de la RC classique. En méthanisation, elle est centrale pour les scénarios de perte de confinement de digestat.
Note : Certaines polices prévoient des frais d’urgence (pompage, confinement, analyses). Il faut examiner les déclencheurs, les plafonds par événement et les sous-limites sur dépollution.
Phase 3 : Modifications, arrêts prolongés et fin de vie – Sécuriser la transition
Les rétrofits, arrêts programmés et opérations de fin de vie nécessitent d’ajuster le programme d’assurance.
- Travaux de modification et repowering : Lors d’un ajout ou remplacement d’équipements (nouvelle épuration, changement de membranes, ajout d’un compresseur), on remet en place un dispositif chantier : TRC et RC chantier, et TRME si la phase essais est significative. Les obligations décennale/DO reviennent si des travaux de bâtiment sont engagés.
- Responsabilités pendant l’arrêt et au redémarrage : Prévoir les extensions utiles si une partie du site reste en fonctionnement et documenter les mesures d’hivernage (vidanges, inertage, surveillance). Côté RC et LRE, le risque de perte de confinement demeure (bassins, rétentions, digesteurs partiellement remplis).
- Fin de vie et démantèlement : Les obligations et garanties financières éventuelles dépendent du régime ICPE et des prescriptions de l’arrêté préfectoral. Côté assurance, on veille à la RC après travaux ou démantèlement, à la couverture pollution pendant les opérations, et à la conformité de la gestion des déchets (prestataires assurés, traçabilité).
L'objectif est simple : prouver que le site est maîtrisé, que la prévention est vivante et que la remise en état est anticipée. Un bon dossier réduit les questions, accélère la décision et améliore les conditions.
Dossier réglementaire et sécurité
Les fondamentaux doivent être à jour et faciles à vérifier.
- Arrêté préfectoral et conformité ICPE, avec les prescriptions applicables résumées sur une page.
- Dossier ATEX vivant : évaluation des risques, zonage, document de protection contre les explosions, preuve des mises à la terre et des contrôles périodiques.
- Registre des contrôles obligatoires et rapports récents : détecteurs gaz, ventilation, soupapes, paratonnerre, installations électriques.
- Procédures d’urgence et comptes rendus d’exercices internes ou avec les secours.
Opérations et maintenance
Les assureurs veulent des traces, pas des promesses.
- Contrat d’exploitation et de maintenance, avec rôles et fréquences.
- Gammes de maintenance signées, historiques d’interventions, fiches de non-conformité et actions correctives.
- Gestion des pièces critiques : liste, stock, délais d’approvisionnement confirmés par les fournisseurs.
- Supervision et alertes : extraction d’écrans ou rapport mensuel type.
Environnement et digestat
L’attention porte sur le confinement, les écoulements et la traçabilité.
- Plans et volumes de rétention, preuves d’étanchéité, schéma des points bas et des trop-pleins.
- Plan d’épandage, registre des sorties de digestat, traçabilité des transporteurs et des parcelles.
- Prestataires de pompage et d’analyse identifiés, avec attestations d’assurance.
- Kit d’urgence décrit et photographié, emplacement sur plan.
Performance, fuites et disponibilité
Montrer que le site se surveille lui-même.
- Indicateurs de performance du procédé, avec un pas de temps régulier.
- Suivi des fuites et des réparations : plan de points de contrôle, campagnes réalisées, rapport de clôture.
- Essais torchère planifiés et réalisés, avec traçabilité.
- Journal des incidents et temps d’indisponibilité, y compris causes racines et actions préventives.
Assurances déjà en place et valeurs assurées
C’est souvent là que se jouent les écarts de primes et de plafonds.
- Copies des polices en vigueur, clauses et annexes utiles, limites et franchises lisibles.
- Relevé des sinistres cinq ans, avec circonstances et mesures prises depuis.
- Valeurs assurées à jour par grande famille d’actifs, méthode de valorisation expliquée en deux lignes.
- Scénarios maximaux crédibles résumés en une page pour cadrer les plafonds et sous-limites.
Un marché plus sélectif sur les risques “process”
Depuis 2024, les assureurs renforcent leurs exigences sur les sites à procédés (incendie/explosion, perte de confinement, indisponibilité de torchère). Cette sélectivité s’explique par le durcissement général du marché IARD et par la montée des sinistres coûteux côté entreprises. Dans les faits, obtenir une couverture reste possible, mais les dossiers sans preuves solides (ATEX vivant, contrôles périodiques, suivi des fuites) se voient appliquer des franchises plus hautes et des sous-limites plus serrées. Des signaux similaires apparaissent dans le secteur public (collectivités confrontées à des hausses et résiliations), signe d’un marché plus prudent sur les expositions techniques et climatiques.
La filière biogaz accélère, et avec elle la base de risques
Côté filière, 2024 marque un record : 11,6 TWh de biométhane injectés et 731 sites raccordés fin d’année, pour 13,9 TWh/an de capacité. La dynamique se poursuit en 2025 selon le panorama sectoriel. Pour les assureurs, plus de sites signifie une sinistralité potentielle plus “large” et plus hétérogène, d’où l’importance d’un tri fin par profil (agri, territorial, industriel), par équipements (gazomètre/membranes, épuration, compression) et par pratiques de maintenance.
CPB : un nouveau levier économique… et de nouvelles attentes documentaires
Le registre des certificats de production de biogaz (CPB) est opérationnel depuis la mi-juin 2025, avec une première période d’obligation de restitution pour 2026–2028. Pour les exploitants, c’est un complément de revenus qui stabilise les modèles économiques ; pour les assureurs, c’est aussi l’occasion d’exiger une traçabilité renforcée des volumes “certifiés” et des indisponibilités. Attendez-vous à voir apparaître, dans les demandes d’informations, des tableaux de bord plus précis (production, fuites réparées, tests torchère).
Conformité et fuites de méthane : une ligne rouge assumée par les pouvoirs publics
Depuis 2021, les prescriptions ICPE ont été resserrées ; en 2023, une action nationale de l’inspection a ciblé la limitation des fuites de CH₄ en méthanisation ; en 2025, la Cour des comptes rappelle la nécessité de maîtriser ces pertes pour crédibiliser l’apport climatique du biométhane. Cette pression réglementaire alimente directement l’underwriting : un site qui documente mal l’étanchéité, les réparations et les essais torchère sera moins bien servi (plafonds, exclusions, voire refus).
Environnement et climat : plus de vigilance sur les plafonds et franchises
Les événements climatiques et la hausse attendue des coûts de réparation pèsent sur la tarification et sur les franchises, y compris via le régime CatNat. Parallèlement, le volet “responsabilité environnementale” reste un pivot : la couverture des coûts LRE (prévention/réparation d’un dommage environnemental sans tiers lésé) passe souvent par une police dédiée ou une extension explicite, à calibrer sur les scénarios digestat (débordement, ruissellement vers un cours d’eau).
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